Chemin de lumière
Basilique Sainte-Madeleine à VÉZELAY (89)
© Paul Gagnaire
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Le Chemin de lumière de Vézelay
[ 47°27’58.82" N 3°44’54.26" E ]

Dans la basilique de Sainte-Madeleine, à Vézelay, se produit, au solstice d’été, vers midi, un phénomène bien connu, maintes fois photographié et décrit : le long de la nef, bien dans son axe, se forme un chapelet de neuf grosses taches de lumière produites par le Soleil au travers des fenêtres hautes de la basilique ; ces taches sont grossièrement circulaires ; elles se déplacent le long de la nef en progressant vers le chœur. La présente note, essaie de les envisager sous leur aspect gnomonique.


Dates du phénomène

1 - Il a lieu « au solstice d’été », donc il dépend de la déclinaison du Soleil et, ainsi, on peut être assuré qu’il doit apparaître plusieurs jours avant et plusieurs jours après le solstice puisque, pendant les deux semaines qui, en première approche, chevauchent la date du 20 ou 21 juin, la déclinaison du Soleil ne varie pratiquement pas ; en 2008, par exemple, elle reste supérieure à 23° du 10 juin au 2 juillet inclus. Au cours des années 1100 il en allait de même mais la date du solstice, remontée en calendrier julien, se plaçait vers le 13 ou 14 juin.

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Azimut de la basilique

Les plans de la basilique montrent que l’axe médian de la nef, depuis le trumeau du narthex jusqu’au seuil du chœur, se brise en ce point et que l’axe médian du chœur dévie d’environ 2 degrés vers l’Est. Comme les taches de lumière se forment le long de la nef, c’est l’azimut de celle-ci qui nous importe ; du reste, connaissant l’un, il est aisé d’obtenir l’autre. 
Une vue aérienne présentée par Google-Earth permet d’estimer l’axe « global » de la basilique comme situé dans l’azimut 80° comptés depuis le Nord et en sens horloge. 
Mais nous disposons aussi d’une photographie prise par Monsieur Charles-Henri Eyraud, depuis le fond de la nef, le 22 mai 2001, lorsque le Soleil traversant le vitrail central du chœur, s’aligne exactement dans l’axe médian du chœur.

Voici les paramètres établis à partir de cette photo que nous considérons comme le document essentiel pour la mesure de l’azimut qui nous occupe ici. 
- Heure de la prise de vue : 8 h 14 m, heure légale d’été le 22 mai 2001
- Latitude de Vézelay : 47°27’46’’ soit 47°,4628 - Longitude de Vézelay : - 3°44’39’’ soit –3°,7442 Est 
- Avance sur l’heure UT :14 m 58 s 
- Déclinaison du Soleil vers midi : + 20°26’ soit + 20°4333 
- Equation du temps vers midi : - 3 m 22 s 
D’où l’on tire l’angle horaire du Soleil à l’instant de la prise de vue :

  Avance Retard
Heure légale avance sur UT 14 min 58 s 120 min
Avance EQT 3 min 22 s  
Totaux 18 min 40 s 120 min
Solde : retard 101 min 40 s 
arrondi : 102 min = 1 h 42 min

Donc, à 8 h 14 m légales, il n’est encore que 6 h 32 m heure solaire, soit : 
1 - angle horaire solaire compté depuis XXIV : 98°0835 (6,5389 h) 
2 - angle horaire solaire compté depuis XII : - 81°91665 (- 5,46111 h)

La formule qui procure l’azimut, à partir de ces données, est : 
tg (AZ) = sin(AH) / (sin(PHI)*cos(AH) – (tg(DEC)*cos(PHI))) 
L’azimut de l’axe du chœur est : -81°5 avant l’Est (90°). 

D’où nous admettrons que l’axe « pur » de la nef vaudrait – 79°5 Nord-Est (à arrondir à – 80°).

A titre indicatif notons que, ce 22 mai 2001, le Soleil passait par le Premier Vertical à 7 h 20 m et, le 21 juin, à 7 h 34 m. 
Formule du passage au Premier Vertical : cos(AH) = tg(DEC) / tg(PHI)

Bornes azimutales du Soleil « vers » midi

On conçoit, intuitivement, que, la basilique étant orientée vers l’Est, le Soleil formera les taches de lumière lorsqu’il sera, à peu près, perpendiculaire au mur Sud où sont percées les fenêtres hautes, puisque les taches se forment le long de la nef. La valeur trouvée pour l’azimut de la nef, - 80° au NE, permet déjà de dire que le Soleil perpendiculaire à cet axe, sera dans l’azimut 170° SE, donc un peu avant le Sud (180°) et un peu avant midi solaire.
On pressent bien, également, qu’un Soleil trop tangent par rapport au plan des fenêtres ne formerait plus des taches rondes de lumière, mais seulement de minces rayures. 
D’autre part, les rayons ne doivent pas buter sur les piliers de la nef qui les arrêteraient avant qu’ils n’atteignent le sol. En revanche, notons que les bas-côtés ont une hauteur trop faible pour gêner l’entrée du Soleil par les fenêtres hautes de la nef. 
Il nous semble qu’une hypothèse prudente, mais minimaliste, peut admettre que des taches bien formées, bien arrondies, perdurent tant que le Soleil parcourt les azimuts de 160° SE à 180° (Sud).

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2 vues de la face Sud de la basilique

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Si l’on considère n’importe quelle fenêtre de la nef, ici la n°4, on voit que le Soleil commence à former les taches de lumière lorsqu’il passe par l’azimut 160°, donc 10° avant de passer par un plan vertical perpendiculaire à la fenêtre. Il cesse de former la tache lorsqu’il bute sur les montants des fenêtres soit vers l’azimut 180° (Sud = midi vrai solaire). Ces valeurs sont à confirmer. Seule est ici prise en compte l’explication gnomonique du phénomène. Au sol, les taches parcourent une très petite portion de l’arc de déclinaison du solstice d’été (23°44). Cet arc est une hyperbole proche de son point d’inflexion, donc, pratiquement, une droite.

Heures et hauteurs du Soleil

A partir de cette hypothèse, le phénomène durerait environ 35 minutes, (de 11 h 25 m à 12 h solaires), avec une hauteur de Soleil pratiquement constante à 65/66°. Pour ne pas laisser une question de côté, nous ajouterons que, dans les années 1100/1200, l’obliquité de l’écliptique valait 23°33’ alors que de nos jours, elle est redescendue à 23°26’. Cela avait pour conséquence que la hauteur de culmination du Soleil solsticial atteignait 66°,1 contre 55°,98 actuellement et les taches de lumière se plaçaient un peu plus au Sud qu’en 2008 ; mais nous nous préoccupons, là, d’une vingtaine de centimètres. Toutes ces hypothèses seraient à contrôler lors d’un prochain solstice ; en particulier la borne azimutale de 180° (Sud) nous semble trop précoce, compte tenu des récits courants du phénomène. Mais l’azimut 170° SE, considéré comme passage du Soleil à la perpendiculaire du mur Sud, reste une donnée valable et, si l’on devait élargir l’éventail azimutal du phénomène, il faudrait l’ouvrir symétriquement en deçà de 160° et au-delà de 180°.

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Forme des taches de lumière

Au sol, les taches de lumière sont assez sensiblement circulaires, parfois un peu « baveuses » et la première se place un peu trop au Nord pour s’aligner parfaitement avec les autres. C’est peu de chose. Or, les fenêtres de la nef ne sont pas circulaires, mais se présentent comme des rectangles, dont le petit côté sommital est un demi-cercle. La hauteur total de la verrière vaut environ 2,6 fois sa largeur. L’explication tient en ceci, que la projection sous un angle de projection de 65°, laisse inchangée la largeur (horizontale) de la fenêtre, qui devient alors l’axe Est-Ouest de la tache de lumière, tandis qu’elle comprime la hauteur (verticale) de la fenêtre qui formera ainsi l’axe Nord-Sud de la tache de lumière. Et 2,5 multiplié par tangente 24° (90-66) égale : 11,13. A vue d’œil la tache est ronde, avec un diamètre de 10 et le diamètre perpendiculaire valant 11,13 ; mais il devrait n’être pas impossible d’appréhender que son bord septentrional n’est pas aussi rond que son bord méridional !

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Déplacement des taches

La forme et l’emplacement des taches, directement liés à la position du Soleil, varient en phase avec les variations de celui-ci. Dès que le Soleil n’est pas strictement perpendiculaire à la verrière ses rayons heurtent la paroi de l’embrasure des fenêtres et le beau rond de la tache est plus ou moins coupé à son bord Ouest, puis à son bord Est, à mesure que le Soleil progresse vers le Sud et le dépasse. Quant à l’emplacement des taches le long de la nef, il suit cette progression du Soleil et les taches avancent vers le chœur ; le chemin de lumière, lui-même, chemine. Evidemment, chaque tache et toutes les taches parcourent l’hyperbole formée par l’arc de déclinaison du Soleil solsticial. Le point d’inflexion de cette hyperbole se situe au Sud et, par conséquent, en cette zone de son développement, le très court segment de l’hyperbole se confond pratiquement avec une droite. C’est pourquoi les taches marchent au milieu de la nef, comme le pèlerin.


En conclusion ...

Cette étude n’est qu’une ébauche et que les valeurs sur lesquelles elle s’appuie seraient à vérifier sur site. Dussent-elles ressortir d’une telle vérification, modérément corrigées, cela n’entacherait pas la validité des raisonnements et des analyses présentées ici qui ne dépassent pas l’aspect gnomonique du phénomène.

Consécration de la Madeleine de Vézelay
21 avril 1104


La dédicace ou la consécration d’un édifice de culte a relevé de motifs complexes tout au long du Moyen Âge. Celle qu’a fait célébrer, le 21 avril 1104, l’abbé Artaud à la Madeleine de Vézelay, n’échappe pas à ce constat. Il s’agissait de légitimer la fondation par le comte Girard de Roussillon et sa femme Berthe, dans la seconde moitié du IXe siècle, d’un monastère de femmes, bientôt remplacées par des hommes. L’abbaye de Cluny se vit, au cours du premier tiers du XIe siècle, chargée de sa réforme entreprise en 1058, date à laquelle une bulle la rangea au nombre de ses dépendances. Elle devint aussitôt l’objet de l’intérêt soutenu du comte de Nevers qui en fut l’un des grands bienfaiteurs. En même temps, les abbés de Cluny firent admettre la présence des reliques de Marie, sœur de Lazare, qui avec Maximin aurait échoué à Marseille. Après leur mort, leurs corps auraient été transportés à Vézelay pour la première, à Autun pour le second. Quoiqu’il en soit, leur mention est attestée dès 1050 à Vézelay dans une bulle pontificale. Cette reconnaissance assura le succès du pèlerinage, dès le XIe siècle, et l’association entre l’église qui prit alors le vocable de « Madeleine » et le tombeau de la pécheresse était devenue indissociable.


L’abbé Artaud prit alors la décision de reconstruire l’édifice carolingien en lui donnant des dimensions adaptées à son nouveau destin. Il en subsiste -suffisamment d’éléments pour imaginer son ampleur : les travées occidentales de la crypte, les murs du transept et les piliers occidentaux de la croisée du transept. Comme souvent dans l’architecture médiévale, les reconstructions ultérieures se sont appuyées sur le transept conservé et souvent remanié, donnant au vaisseau central de la nef et du chevet la largeur de 10m. En 1120, un incendie imposa la reconstruction de la première, sans doute seulement charpentée. L’abbé Renaud de Semur (1), neveu de l’abbé Hugues de Cluny, se lança dans la reconstruction en suivant un parti exceptionnel : le vaisseau central de 10m de large a été couvert d’une voûte de pierre en plein cintre dont les doubleaux retombent sur des supports en forte saillie pour scander les travées. Pour assurer leur maintien, l’architecte avait imaginé de lancer au travers des tirants de métal, dont les crochets subsistent au-dessus des tailloirs des chapiteaux. Pour harmoniser la nouvelle nef avec le chevet d’Artaud, l’architecte avait conçu une élévation à deux niveaux : grandes arcades et fenêtres hautes, ces dernières percées dans un mur en grande partie conservé.

Après l’achèvement de la nef – vers 1135 –, les travaux se poursuivirent par l’avant-nef, non moins originale avec ses tribunes sur trois côtés et sa façade qui présentait comme devant la nef, trois portails. Renaud de Semur avait voulu donner une signification particulière à sa réalisation grâce à un vaste programme sculpté : les trois portails de la nef ont été confiés à des sculpteurs dont le -principal avait exécuté les chapiteaux de l’abside de Cluny. En 1140, il fut fait appel à un autre sculpteur, le célèbre Gislertus d’Autun, pour le tympan du portail central qui offre, malgré les destructions révolutionnaires, quelques traces de son style. C’est sans doute peu après l’incendie de 1165 qu’il fut décidé de reconstruire le chevet en l’adaptant à la crypte prolongée vers l’est, au carré du transept du XIe siècle et à la nef du XIIe siècle. L’architecte réussit avec un rare génie à harmoniser cet ensemble disparate grâce à la lumière qui se diffuse avec une rare subtilité.


Vézelay avait alors vécu les plus grands moments de son histoire. Bernard y avait prêché, le 31 mars 1146, la seconde Croisade. Les difficultés se sont acharnées tout au long du XIIIe siècle. Les doutes sur la présence des reliques de la Madeleine l’emportèrent. Les religieux réagirent par l’authentification des reliques en 1265, et par leur translation en 1267 en présence de Louis IX, du duc de Bourgogne et du comte de Champagne. L’ouverture du tombeau de Saint-Maximin en 1279 ruina ces dernières tentatives : il contenait bien les reliques de la sainte. Les pèlerins qui s’étaient vus recommander la traversée de Vézelay avant de rejoindre Saint-Jacques-de-Compostelle, par le Liber Sancti Jacobi, s’en détournèrent.

1. 1106-1128.

Alain Erlande-Brandenburg
conservateur général du patrimoine,
directeur du musée national de la Renaissance

Miniature extraite de la Chronique de Vézelay par Hugues de Poitiers fol. 22 : copie du testament du comte Gérard de Roussillon, fondateur de Vézelay, représenté avec sa femme Berthe - ms., B.M. d’Auxerre, © atelier photographique des archives départementales de l’Yonne
Miniature extraite de la Chronique de Vézelay par Hugues de Poitiers
fol. 22 : copie du testament du comte
Gérard de Roussillon, fondateur de Vézelay
représenté avec sa femme Berthe - ms., B.M. d’Auxerre
© atelier photographique des archives départementales de l’Yonne