par: André Chouraqui
Texte en italique c'est l'extra
dans l'édition de sa traduction dans
L’univers de la Bible
Shir ha-shirîm,
'Poème
des poèmes',
c’est-à-dire
le poème
par excellence : tel est le titre que se donne lui-même le premier des «Cinq Volumes»
(Hamesh megilloth), et
qui a été intitulé en français «Cantique des cantiques», par simple
transcription du latin. Il est rapporté à Shelomo (Salomon), le sage
entre les sages, sans qu’on puisse dire si le relatif asher désigne ce roi comme auteur ou
comme destinataire de ce texte admirable.
Une lecture attentive
des cent dix-sept versets qui le composent révèle deux plans de signification
qui se marient: un plan humain, où l’auteur met en scène un homme et une
femme unis par l ’amour et un plan cosmique relatif à la création
entière. Les lecteurs qui ne verraient ici qu’une histoire d’amour
élimineraient, consciemment ou non, les vastes horizons d’où cet amour
surgit et dans lesquels il se meut.
Auprès de l’Homme et la Femme, qui sont les autres personnages du poème,
les voici : le soleil, la lune, l’aurore, le jou, la nuit, la terre, le
ciel, le Lebanôn, le Senir, l’Amana, le Hermôn, les vallées, le désert,
l'hiver, Le printemps, La mer, les fleuves, les forêts, les .fleurs, les
lotus, les amaryllis, les vignobles, Les cèdres, les palmiers, les
pommiers, les oiseaux, les palombes, les corbeaux, le vin, le nectar, la
ville et ses murs, ses tours, ses gardes, ses marches, et dans la
steppe, les tanières de Lion, les montagnes où rôdent les panthères.
Voici encore des parfums, l'encens, le nard, le safran, l'oliban,
l'acore, la cinnamome, la myrrhe, l'aloès. Des fleurs encore, celles du
grenadier toutes rouge et or, et puis l'aquilon et l'autan, la rosée de
la nuit, le lait, le miel. L'amant est identifié au Lebanôn ou à un
cèdre. L'amante est identique à deux villes, Tirsa et Ieroushalaîm; elle
est semblable à un rempart, à une tour, au Karmèl, à l'aurore, à la
lune, au soleil...
C’est dans l’universalité du réel que naît l'amour. Aussi la poésie
hébraïque marie-t-elle ici l’humain au cosmos; elle voit le réel sous la
forme d’un homme, et dans cet homme la totalité de l’univers.
L’unité de l’œuvre se dégage, comme celle d’une symphonie, des thèmes
qui la composent et s’y affirment tour à tour. Le premier est celui de
la genèse de l’amour. On doit lire le deuxième verset, non comme un
simple vœu, mais comme une certitude: l’amour est présent; l’amante est
sûre que son amant la baisera des baisers de sa bouche. Le triomphe
final de l’amour absolu est, dans sa genèse même, un acte de foi:
d’adhérence.
En contrepoint surgit le deuxième thème, celui de
l’exil (3,1-5). L’amante recherche l’amant absent. Après avoir été
simplement esquissé, ce thème disparaît pour laisser la place a celui de
la contemplation amoureuse. Porté dans un palanquin, le roi s’avance
vers son aimée. L’ayant retrouvée, il ne cesse de la chanter et
d’exalter sa beauté.
La partie centrale du poème est la plus
importante; c’est elle qui donne toute sa signification
à l’œuvre. Le thème de l'exil, de la solitude et de la souffrance est
repris à fond. L’amante, plongée dans un demi-sommeil, n’a pas répondu à
l’appel de l’amant. Celui-ci renonce à elle et part, la laissant à sa
solitude, à son exil. Elle y affronte de nouvelles et plus cruelles
épreuves. Sa quête
fidèle
de l’amour la sauve. Le couple se recherche à nouveau dans la joie de la
contemplation d’amour.
Le troisième thème explose enfin
dans la joie des retrouvailles: l’exil a pris
fin,
la souffrance est rédimée. Les amants se réunissent dans la suavités des
noces éternelles, dans le printemps nouveau qui ne passera pas. Au
paroxysme de la passion assouvie, ils célèbrent l’amour réalisé dans la
mutation de l’être, scellé à jamais,
inexorable comme la mort.
Les trois motifs fondamentaux qui
forment la trame du poème se retrouvent en profondeur dans la Bible tout
entière, traversée, elle aussi, par le triple thème de la création, de
la chute-ou de l’exil-et de la rédemption. Unique entre tous les livres
bibliques, le Poème des Poèmes s’affirme en même temps comme le plus
complet, le plus universel, et peut—être le plus parfait. Un des livres
les plus courts de la Bible, et l’un des plus nécessaires. Rabbi Aquiba
l’a dit: «Le monde n’avait ni valeur ni sens avant que le Poème des
Poèmes fût donné à Israël.» En lui, nous lisons le poème sacré par
excellence, celui qui célèbre l’amour absolu, dans des perspectives et
sur des rythmes qui font écho à la sublimité du chant des univers.
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