Tory'sCapitals = Champ Fleury 1529

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 «Marot, est-il aussi parmi les rabbins?»

Pourquoi Théodore De Bèze a corrigé quelques traductions de Clément Marot

 Théodore de Bèze n’est pas seulement celui qui a terminé ce que Clément Marot avait commencé, c’est à dire la versification des 150 psaumes bibliques (Marot 49 pièces, De Bèze 101), il est aussi un éditeur des psaumes de Marot.[1] L’histoire est connue. Depuis les années 1530 Marot avait commencé la traduction des psaumes en français. Pour cela il se basait selon les indications dans les titres sur l’hébreu ou la ‘vérité hébraïque’. Cette phrase n’implique pas qu’il prétendait à avoir traduit en direct de l’hébreu, mais plutôt par l’intermédiaire des (traductions des) philologues érudits.[2] En 1541 Marot avait fait paraître la première trentaine de versifications de psaumes chez son éditeur habituel Estienne Roffet, et en 1543 il y avait ajouté une vingtaine (c’est-à-dire 19 plus le Cantique de Siméon). A cette occasion Marot avait aussi revu son travail antérieur et un bon nombre de psaumes a été retouché, parfois bien que superficiellement. Cela est à l’origine d’un peu de confusion concernant la première édition complète des 50 psaumes de Marot, parce que à Paris Roffet se contentait de donner une réédition quasiment inchangée des Trente Pseaulmes de 1541, ajoutant les vingt psaumes nouveaux, tandis que l’édition anonyme des Cinquante pseaumes de Genève (imprimé par Jean Girard) proposait la version améliorée. Toutefois, à partir de 1544 toutes les éditions séculières des Œuvres de Marot (commençant avec l’édition d’Estienne Dolet) se réfèrent à la version corrigée que nous retrouvons aussi dans les éditions de Genève pour usage ecclésiastique. Cependant, on se trompe si on déduit de ceci que les textes de Marot ne seraient plus changés entre 1543 et 1562. Il est vrai que Marot lui-même ne les a plus révisé (il est mort en septembre 1544 à Turin), mais dans des éditions de Genève de 1551-1562 De Bèze non seulement a ajouté ses propres versifications, mais a aussi changé ça et là les versifications de Marot.[3] La majorité de ces changements ne sont que des retouches, mais il y en a qui vont plus loin. En général il semble y avoir des raisons linguistiques pour les corrections. Pour autant que j’ai pu vérifier, De Bèze n’a changé le contenu que deux fois : Ps. 45,6 et Ps. 110,7.[4] Ces deux changements sont significatifs car ils font découvrir une différence fondamentale sur la façon sur laquelle les psaumes doivent être interprétés par les chrétiens: un différend sur le domaine de l’herméneutique.

 

Psaume 45,6: ‘O divin Roy’ versus ‘O Dieu et Roy’

Le premier exemple se trouve dans la traduction du psaume 45, un cantique nuptial royal. Dans ce psaume le roi est son épouse sont adressé par le poète dans des termes les plus lyriques. Ce psaume connaît – par analogie avec le Cantique des Cantiques – une longue histoire interprétative comme allégorie de l’amour qui unit Dieu/Jésus et sa communauté nuptiale, l’église. Bien qu’il y a toujours eu des exégètes qui se sont rendu compte qu’un tel texte a forcement eu un contexte historique, il n’a jamais été cause de douter de l’interprétation allégorique. Dans ce cas-là la signification allégorique était obtenue par une construction typologique et était – et cela est cruciale – vécue comme sens propre du psaume.[5] Si nous regardons maintenant la façon dont Marot traduit le psaume, il semble à première vue prendre la position traditionnelle. Dans la synthèse (l’Argument) qu’il laisse précéder au psaume, Marot fait allusion à un événement historique (le mariage de Salomon avec une fille du pharaon), mais indique expressément le caractère figuratif de ceci : « C’est le chant nuptial de Jesuchrist et de son eglise soubz la figure de Salomon et de sa principale femme, fille de Pharaon. » L’événement terrestre n’est qu’une marche envers une signification céleste qui dépasse l’historique: ‘Il y a ici plus que Salomon’. Une remarque comparable se trouve chez Olivétan dans la marge de sa traduction de la Bible de 1535.[6] Dans les deux cas, la source est probablement la même: un commentaire latin, publié en 1529 (deuxième édition augmentée et améliorée en 1532) par le scholiaste et réformateur Martin Bucer qui avait reçu bonne critique par la chrétienté entière, en particulier parce que l’auteur travaillait sous pseudonyme.[7] Dans son explication Bucer assignait le psaume aux circonstances historiques du mariage de Salomon à une princesse égyptienne (1 Rois 11). Il continue par expliquer sur pas mal de pages les anciens rites de mariage, les habitudes et cérémonies du Levant, avec beaucoup d’attention pour les vêtements spécifiques, les joyaux, les parfums (mots hébreux avec signification incertaine). En plus, il a l’œil pour les éléments de style et de rhétorique. Pour Bucer, la référence historique à Salomon ‘est pas seulement une occasion de parler de Jésus et son église, mais se prête aussi à une enquête, à une méditation et même de l’admiration. Il considère que le traducteur se doit de rendre correctement la couleur locale et historique. Tout comme Bucer, Marot a essayé de recréer correctement dans son langage poétique l’atmosphère original, qui est la toile de fond du psaume. Bucer avait rendu ce monde caché visible et tangible par les moyens de la traduction, explication et même digression. Marot devait s’en tenir au seul instrument qu’il avait: son talent poétique. Avec succès: La transposition poétique de Marot est une traduction concrète, soigneuse et a le coloris d’un mariage oriental ancien.[8]

Pourtant, il y a des conséquences qui concernent l’interprétation théologique de psaume. Cela se manifeste quand Marot traduit les parties de psaume dans lesquels le futur époux (déjà représenté en héro conquérant, radiant dans sa gloire) est successivement adressé comme ‘Dieu’ (v. 6), décrit comme ‘l’oint du Seigneur’ (v.7) et présenté à son épouse comme ‘votre Seigneur’ (v. 11),  ‘gefundenes Fressen’ pour l’exégèse christologique.[9] Pour pouvoir comparer l’idiome de la traduction classique en latin (Le Vulgate, i.c. le Psalterium Gallicanum - PG) avec le langage de Marot, on doit les juxtaposer. N.B. : Que ‘Roy’ et autres ‘choses élevées’ sont écrits avec capitales ne sont que curiosité de l’imprimeur (Jean Girard) sans intentions théologiques:

 

Sedes tua Deus in saeculum saeculi:

virga directionis virga regni tui.

  

 

Dilexisti iustitiam, et odisti iniquitatem:

propterea unxit te Deus Deus tuus oleo laetitiae prae consortibus tuis.

 

 

Myrra, et gutta, et cassia a vestimentis tuis

a domibus eburneis:
ex quibus delectaverunt te …



… filiae regum in honore tuo.

Astitit regina a dextris tuis in vestitu deaurato: circumdata varietate.



Audi filia, et vide et inclina aurem tuam:

et obliviscere populum tuum, et domum patris tui.

 
 

 

Et concupiscet rex decorem tuum,

quoniam ipse est Dominus Deus tuus et adorabunt eum.

6.       O divin Roy, ton Throne venerable
C’est un haut Throne, à jamais perdurable:
Le sceptre aussi de ton Regne puissant,
C’est d’equité le sceptre florissant.
 

7.       Iniquité tu hays, aymant justice
Pour ces raisons, Dieu, ton Seigneur propice,
Sur tes consors t’ayant le plus à gré,
D’huyle de joye odorant t’a sacré.
 

8.       De tes habits les plis ne sentent qu’Ambre,
Et Musc, & Myrrhe, en allant de ta Chambre
Hors ton Palais d’yvoire, hault et fier,
Là où chascun te vient gratifier.
 

9.       Aveq toy sont filles de Roys bien nées,
De tes prese
ntz moult precieux ornées,
Et la nouvelle Espouse à ton costé,
Qui d’or d’Ophir couronne sa beauté.

 

10.   Escoute fille en beauté nonpareille,
Entens à moy, & me preste l’oreille:
Il te convient ton peuple familier,
Et la maison de ton pere oublier.

 

11.   Car nostre Roy, nostre souverain Sire
Moult ardemment ta grand’ beauté desire
D’orenavant ton Seigneur il sera,
Et de toy humble obeissance aura.

 

Le verset 6 (‘Sedes tua Deus in saeculum saeculi’ – Dieu, ton siège est au siècle des siècles) est rendu aussi séculier que possible, i.e. avec un vocabulaire aussi léger que faisable: le terme d’adresse ‘Deus’ (qui fonctionne comme vocatif) est réduit à une position d’adjectif pour le roi, ce qui veut dire que Marot explicite que l’adressé n’est pas le Messie-Dieu (Jésus) mais simplement un roi qui se va marier :

O divin Roy, ton throne venerable

C’est un haut throne, à jamais perdurable.

 

Alors, Marot insiste que le mot ‘Deus’ est ici une hyperbole, élément d’une rhétorique courtoise pour honorer le roi. Il va de soi qu’on peut continuer à lire le texte comme référant à Dieu, mais ce n’est plus mandataire. Le texte est devenu équivoque, polysème. Ce qui nous mène à la correction que De Bèze a faite dans la première édition qu’il a rédigée en 1551.

O Dieu et Roy, ton throne venerable

est un haut throne à jamais perdurable.[10]

 

Remplaçant O divin Roy par O Dieu et Roy De Bèze a restauré la référence traditionnelle univoque au Christ/à Dieu dans ce psaume. Sans doute il était lui-même convaincu que cette référence était la vraie référence de ce texte (le psaume comme texte prophétique) et ne voulait pas que la référence à Dieu soit obscurcie ou rendue ambiguë. Il avait peu de choix parce qu’il voulait maintenir « l’unité de la Bible », un des dogmes herméneutiques incontournables de la réformation. Ne citait pas l’apôtre lui-même ce texte dans l’Epitre aux Hébreux comme preuve que le Christ était bien le fils de Dieu en occupe pour cela un place unique dans l’hiérarchie de l’être?[11] Que cette traduction ‘terrestre’ de Marot n’est pas une coïncidence, devient clair quand on poursuit la lecture (voilà pourquoi j’ai ajouté la suite du vers modifié). Marot reste conséquent. L’onction du roi par Dieu dans le verset 7, bien que christologiquement très intéressante, disparaît presque entièrement dans la description plastique de l’événement même. Dans le verset 11 où la même terme d’adresse réapparait (explicitée et développée dans la Vulgate : Dominus Deus tuus), Marot accentue à nouveau qu’il s’agit ici du roi qui par ces mots est recommandé à la future reine. Elle est appelée à l’obéir parce qu’il est, lui-même, son seigneur et maître.

Car nostre Roy, nostre souverain Sire,

Moult ardemment ta grand’ beauté desire

D’orenavant ton Seigneur il sera,

Et de toy humble obeissance aura.

 

Une fois de plus Marot a encrusté le terme ‘Dominus’ dans une description générale de la position supérieure de l’homme dans le mariage, gommant presque l’association avec Dieu. Le registre de langage choisi par Marot se réfère à la cour royale et explicite les devoirs de la nouvelle mariée, mettant en lumière plutôt les relations entre les sexes que les mystères divins.[12] Bref : quand on lit le psaume 45 dans la traduction de Marot et qu’on oublie de lire l’Argument, on douterait qu’on lise un psaume sur le Christ et son église, bien que l’idiome du psaume biblique, en latin comme et en hébreu, donne au niveau lexicologique toutes les possibilités pour exprimer ces associations. La traduction de Marot historise et – dans notre cas on peut le dire – sécularise le psaume.

Ni Marot, ni Bucer (dans son commentaire) ne semble être très impressionné par le poids de l’exégèse traditionnelle ou concerné par un effet éventuellement négative pour les apologistes Chrétiens. Tout deux ont d’abord lu le psaume dans son ‘sensus planus’ pour ensuite partir dans une interprétation figurative qui cherche un ‘sensus spiritualis’, de préférence christologique. C’est en tout cas ce que Bucer a fait dans son commentaire, mais que Marot n’a que suggéré dans l’Argument précédent ce psaume. Apparemment De Bèze a pris la direction opposée: ce n’est pas par une deuxième lecture que ce psaume devait être une prophétie sur le Christ, mais par une première association de n’importe quel lecteur. Lexicalement, ça devait aller de soi. Que cela est un élément fondamental de la théologie biblique de De Bèze devient clair dans le simple fait que dans le (extrêmement) long résume introductif de sa propre paraphrase latine de 1580, il rejette catégoriquement que le psaume puisse être un chant de mariage de Salomon et la fille du pharaon, ‘comme certains disent’. Le psaume entier n’est que allégorie en doit être lu dans la même veine que le Cantique de Salomon. Ce n’est autre qu’une prophétie directe sur les liens de mariage entre le Christ et son église.[13]

Comme cette différence théologique est liée à la vision sur le genre des textes que l’on retrouve dans la Bible et comment ceux-ci peuvent être relevant pour les chrétiens, on part à la recherche de la vision littéraire herméneutique qui trouve son expression dans les traductions de Marot. La deuxième et en même temps la plus radicale de toutes les modifications que De Bèze a apportée dans les textes de Marot fait ressortir cette différence. Il s’agit de la traduction de Marot de la fin du psaume 110 (verset 7)

 

Psalm 110,7 ‘Des grands ruisseaux de sang’

Comme introduction à la traduction du dernier vers du psaume 110 de Marot, une petite digression dans le monde de la critique de textes bibliques est nécessaire. En ouvrant la Bible, le lecteur candide pourrait avoir l’impression d’avoir sous la main un texte solide. Les mots sont tous là, bien arrangés syntactiquement, peut-être avec des significations un peu singulières, mais en tout assez accessibles. Et les sociétés bibliques font de leur mieux pour présenter les textes bibliques aussi convenable que possible dans toutes les langues et dans toutes sortes de vocabulaires, adapté à tous niveaux de compétence littéraire.

 

1          De David. Psaume.

            Parole de l'Éternel à mon Seigneur:

            Assieds-toi à ma droite,

                   Jusqu'à ce que je fasse de tes ennemis ton marchepied. 

 2  L'Éternel étendra de Sion le sceptre de ta puissance:

            Domine au milieu de tes ennemis!

 3  Ton peuple est plein d'ardeur, quand tu rassembles ton armée;

            Avec des ornements sacrés, du sein de l'aurore

                   Ta jeunesse vient à toi comme une rosée.

 4 L'Éternel l'a juré, et il ne s'en repentira point:

            Tu es sacrificateur pour toujours,

                   À la manière de Melchisédek.

 5 Le Seigneur, à ta droite,

            Brise des rois au jour de sa colère.

 6 Il exerce la justice parmi les nations: tout est plein de cadavres;

            Il brise des têtes sur toute l'étendue du pays.

 7 Il boit au torrent pendant la marche:

            C'est pourquoi il relève la tête.[14]

 

Ce qui est obscurci dans toutes les traductions – à l’exception de celles des commentaires scientifiques – est que le texte original représenté dans la traduction n’est pas toujours solide et parfois n’est pas solide du tout, et qu’une signification uniforme ou certifiée l’est encore moins. Un des exemples les plus dramatiques est notamment le psaume 110. Le texte hébreu qu’on possède est loin d’être solide. On ne doit pas être expert pour le remarquer. Il suffit de consulter plusieurs traductions pour se rendre compte qu’il y a eu dissimulation. Dans quasi toutes les traductions les versets 3, 5 et 6 diffèrent considérablement, non seulement dans l’idiome choisi, mais dans la signification. De sorte qu’il est parfois impossible de retrouver une ressemblance entre deux versions. Cela devient clair quand on met en juxtaposition deux autres traductions françaises récentes de verset 3; toutes deux sont faites par des linguistes hébreux (le verset 3).

 

Bible de Jérusalem (1955)

Traduction Œcuménique de la Bible (1975)
 

À toi le principat au jour de ta naissance, les honneurs sacrés dès le sein, dès l’aurore de ta jeunesse.

Ton peuple est volontaire le jour où paraît ta force. Avec une sainte splendeur, du lieu où naît l’aurore te vient une rosée de jouvence.

 

Ce n’est pas seulement la signification exacte qui n’est pas claire, ces deux traductions divergent dans pas mal de choses. Si on ajoute un troisième texte qui fût pendant 15 siècles le Parole infaillible de Dieu, la Vulgate (une traduction latine du Septuaginta, une traduction en grecque faite par des juifs qui vivaient dans le monde hellénique), l’ampleur du problème devient manifeste.

 

 

Vulgate

Lefèvre d’Etaples – traduction de la Vulgate (1530)
 

Tecum principium in die virtutis tuae, in splendoribus sanctorum:
ex utero ante luciferum genui te

 

Le commencement est avec toi au jour de ta vertu és [en les] resplendissemens des sainctz : je t’ay engendré du ventre devant l’estoile du jour.

 

 

 

Certes, il y a des concordances, mais les différences ont le dessus. Si le psaume 110 ne fût qu’un psaume qu’on en trouve treize à la douzaine, l’incertitude de la traduction ne poserait pas de problème. Or, psaume 110 est des plus cités dans le Bible elle-même (NT - paroles de Jésus et des apôtres) comme dans la théologie systématique.[15] Quelques sujets théologiques fondamentales sont basés - au moins partiellement - sur l’interprétation christologique de ce psaume :

1.       Dieu adresse le roi messianique comme ‘mon Seigneur’  (vs.1).[16]

2.       Le roi semble être une sorte de fils de Dieu, ‘engendré par Dieu avant le commencement du temps (vs. 3). Cf. psaume 2 (“Vous êtes mon fils, aujourd’hui je vous ai engendré”)

3.       Ce roi, quoique Dieu par nature, est né d’une femme (de utero): pas de dogme Chalcédonien sans ce texte.

4.       Le roi messianique a aussi un ministère sacerdotal : le sacerdoce mythique de Melchisédek lui est attribué (v. 4).

 

Un bon exemple – vraiment unus pro omnibus ­– on trouve dans L’Argumentum (le résumé) de ce psaume dans le Quincuplex Psalterium de Lefèvre (1509). Il voit ce psaume comme une vraie synthèse de l’histoire entière du Salut.[17] Donc, si on veut citer ce psaume comme démonstration pour des assertions essentielles du christianisme, un texte original incontestable et solide serait un avantage. Cependant le texte original hébreu de ce psaume est fort problématique et il n’y a pas moyen d’obtenir une copie plus satisfaisante: “Chaque mot de ce psaume a prêté à de multiples interprétations et à des controverses sans fin. Il date probablement des débuts de l’époque royale, d’où les archaïsmes de son style.” (Chouraqui).[18] A vrai dire, de notre texte il n’y a que les versets 1, 2, 4 et 7 qui sont fiables. Et encore: le mot ‘texte’ ne renvoie qu’aux consonnes hébreux (la vocalisation n’est qu’un développement relativement récent dans l’hébreu). Une entente concernant les mots du verset 6 est possible, bien qu’il est difficile de les mettre en phrase. En ce qui concerne le verset 7: le texte est clair comme le jour, la traduction est simple et les mots forment une phrase correcte, mais la traduction demeure obscure (traduction littérale: ‘au torrent en chemin il boit; c’est pourquoi il relève la tête.’

On se demande ce que Marot a fait avec un psaume pareil? Ce n’est point l’occasion d’analyser la traduction de Marot dans son entièreté,[19] mais la tendance générale de sa traduction est claire: Marot ne s’est pas limité à la substitution de mots latin cryptique par des mots français cryptique, mais a essayé de transformer un texte récalcitrant en une narration satisfaisante. Dans sa traduction il présente le psaume biblique 110 comme un ancien texte poétique, contenant deux oracles d’un prophète de la cour qui adresse son roi à l’occasion de son avènement. De verset 3, pratiquement intraduisible, il fait un vers harmonieux qui a du sens, bien que la signification demeure obscure (ce qui n’est d’ailleurs pas surprenant pour un oracle). La partie la plus intéressante de sa traduction est pourtant le dernier verset, dont les mots et la syntaxe (plutôt: parataxe) sont clairs, mais où le sens doit être deviné. Dans le verset précédant, il est raconté comment le roi, après avoir battu ses ennemis, quitte le champ de bataille parsemé de cadavres. Marot continue:

Puis, en passant au milieu de la plaine,

Des grands ruisseaux de sang s’abbreuvera.

Par ce moyen, ayant victoire pleine,

La teste hault, tout joyeulx, levera.

 

Cette traduction cache une vraie surprise car l’image clé de ce verset ne se trouve pas dans la Bible du tout: à la place d’un roi qui boit d’un ‘torrent en chemin’, Marot évoque une image horrifiante d’un roi buvant le sang de ses ennemis vaincus, qui coule comme un fleuve (‘des grands ruisseaux de sang’). Ceci n’est pas une traduction mais une paraphrase interprétative. On pourrait se contenter de l’idée qui Marot s’est laissé emporter et qu’il s’est permis quelques libertés poétiques, mais il est plus intelligent de considérer que Marot savait qu’il a fait, et qu’il l’ai lu ailleurs.[20]

 

Martin Bucer et les rabbins médiévaux.

 Une fois de plus, le commentaire de Bucer avec ses prétentions quasi encyclopédiques contiens cette interprétation. Il ne l’a pas inséré dans se propre traduction avec laquelle il introduit chaque psaume, mais il la suggère comme une option valable dans son commentaire scholastique ad verbum. Interprété de cette façon, le verset dépeint le triomphe final du roi, symbolisé dans le boire de sang de ses ennemis, qui à cause de l’ampleur du carnage (décrit dans le vers antécédent) avait formé un fleuve. Or, selon Bucer, le boire du sang de l’ennemi est une image dans l’Ecriture sainte pour une victoire complète.[21] Comme cette explication est assez exceptionnelle, il n’est pas trop recherché de voir un lien entre la traduction de Marot et l’explication de Bucer. Surtout parce que non seulement l’élément interprétatif (le fleuve de sang), mais aussi l’explication du rite même ait trouvé sa place dans la traduction de Marot: le boire du sang signifie la victoire totale et finale, presque en forgeant le latin scholastique de Bucer: ‘victoire pleine’ - ‘plenam victoriam’. Il est clair que Marot refusait de simplement traduire l’édition biblique quand les mots n’avaient pas de sens et flottaient dans l’air et qu’en trouvant une interprétation plus plausible, e.g. dans les commentaires de Bucer, il n’hésitait pas à proposer cette interprétation dans sa traduction, chose que Bucer lui-même n’avait osé. La traduction de Bucer ad sensum est littérale et traditionnelle, ce n’est que dans son commentaire ad verbum qu’il discute les différentes options concernant l’interprétation du verset pour suggérer finalement celle-ci comme convaincante. Mais où Bucer a-t-il trouvé ses idées? Il n’avait pas de génie créatif et était non plus inventeur brillant d’interprétations entièrement neuves. La réponse est simple. Avec une vraie joie de la découverte, Bucer avait fait un inventaire des suggestions faites par les rabbis juifs, comme Rashi (c. 1040-1105), Ibn Ezra (1089-1164) et particulièrement David Kimhi (1160-1235), trois savants juifs qui défendaient une lecture littérale d’un texte, qui devait être établi par des moyens littéraire. Leur credo était que sans philologie saine nulle compréhension de texte n’était possible.[22] A coup sûr, ils étaient confrontés par les mêmes problèmes textuels que Bucer et Marot et leurs solutions étaient extrêmement divergentes (ce qui est la norme et non pas le problème dans la science biblique juive). Il y a la discussion du texte actuel, de la justesse de quelques caractères hébreux, de la formation des mots avec ces caractères etc. Toutes sortes de vocalisation étaient proposées et pas mal de conjectures se faisaient concernant les référents: qui parle de quoi à qui? Il est significatif que Rashi donne deux explications différentes de ce psaume qu’il trouve acceptable l’un comme l’autre.[23] Toutes deux sont des constructions ingénieuses, mais mutuellement exclusives. Comme courant dans les interprétations juives (e.g. dans le Midrash sur les psaumes) la première interprétation de Rashi réfère à Abraham l’encourageant pour la bataille avec les quatre rois de Canaan, où il va rencontrer Melchisédek. Rashi donne une tournure spéciale aux vers finals, mais chez lui pas de traces d’un roi qui boit du sang. Kimhi et Ibn Ezra attribuent tous les deux ce psaume à David, lisant ‘leDawid’ comme: à David. Selon leur interprétation ce psaume a été composé à l’occasion du couronnement de David à Hébron, ce qui pour David n’est qu’un couronnement partiel et qui est suivi de plusieurs batailles avec les Philistins, qui essayaient de perturber le nouveau royaume, ce qui se terminait par une bataille féroce, conclue par une victoire dans la vallée du Sel (2 Sam 4-8), une interprétation presque satisfaisante de la perspective narrative et critique historique. Et voici comment Kimhi (lui seul) explique le verset final:

‘Il buva du torrent’: il tua tant de gens que de leurs corps une rivière de sang commença à couler. ‘Il buva’: dans la manière d’un proverbe, comme dans ‘Et il ait bu le sang des battus’.[24] ‘Pour cela’: parce que dans la bataille il à été victorieux de tous ses ennemis, ‘il s’est levé la tête’. De cette façon il dit: ‘David se fait une réputation retournant de sa victoire sur les Araméens.’ [25]

 

Tout ce que nous avons lu chez Marot et Bucer, est là: ‘boire le sang des ennemis battus’ est compris comme un ancien rituel primitif de victoire. L’interprétation de Kimhi du psaume entier, l’interprétation audacieuse du dernier verset incluse, est tellement cohérente qu’elle a séduit une génération entière de littéraires chrétiens, dont Martin Bucer. Elle donnait un sens a un texte qui à première vue était insensé et peu intelligible. La joie d’avoir trouvé la solution à la devinette était si contagieuse qu’on ne faisait pas grand cas du fait d’avoir sacrifié un fort important locus probantia de la théologie chrétienne. On ne doutait pas de la vérité de cet axiome théologique, ou on ne s’y intéressait pas vraiment.

Retournons à Marot: parmi ce monde de savants chrétiens qui étudiaient les rabbins (ou qui apprenaient de ceux qui étudiaient les rabbins ; et il y en avait qui étudiaient vraiment ensemble avec eux), Marot se sentait à l’aise. Cette façon de lire et d’étudier la Bible était nouveau au monde chrétien, mais correspondait parfaitement au mouvement de la Renaissance qui portait comme credo: ‘ad fontes’. On devait apprendre l’hébreu pour lecture de l’Ancien Testament. Et pas que l’hébreu biblique, mais aussi l’hébreu des rabbins ou l’hébreu du Mishna. Sinon le matériel ne pouvait pas être décodé ou lu au bout. Les commentaires de Kimhi étaient très répandus au 16ème siècle. Non seulement les juifs, mais aussi des savants chrétiens les éditaient et traduisaient (Vatable/Fagius). La Bible des rabbins, ‘Gedolot Mikraoth’, préparée par le savant juif (converti ou apostat selon l’appartenance) Felix de Prato apparut en parties entre 1515 et 1517.[26] Elle proposait un nouveau texte hébreu (Massorétique - avec vocalisation - pas parfaite, mais rendue presque parfaite par les éditions ultérieures de Jacob Ben Chayyim (1524-1525)). Les commentaires de Rashi, Ibn Ezra et - pas dans toutes les éditions et non plus sur tous les livres - ceux de David Kimhi entouraient le texte sacré, imprimé en type hébreu carré, tandis que les commentaires étaient imprimés en ce qu’on appelle le type ‘rashi’. Cette édition, dédié au Pape deviendrait le texte de base pour toutes les traductions protestantes de l’Ancien Testament, l’équivalent de textus receptus du Nouveau Testament. Il n’y a toujours que peu de différences avec le texte hébreu qu’on consulte de nos jours. Les traductions latines se faisaient pour les moins doués en hébreu, les commentaires juifs et leurs suggestions exégétiques inclus. Le même Felix de Prato avait déjà publié une édition distincte du psautier hébreu traduit en latin auparavant. Elle était si populaire que p.ex. Luther et Bugenhagen parlaient dans leurs commentaires sur les psaumes tout simplement de la traduction du ‘Felix’.

Un des canaux principaux par lequel cette interprétation historique des psaumes était propagée dans le monde chrétien était la Commentaire sur les Psaumes de Bucer de 1529/1532. Apparemment Bucer était tout à fait convaincu que ceci était la façon correcte pour l’interprétation de l’A.T., psaumes inclus. Dans son introduction il rejette avec dédain la méthode allégorique. Si le lecteur se trouve intéressé dans ce genre d’exégèse, il n’a qu’à acheter un autre livre. Il y en a assez. Mais pas celui-ci. Il déclare solennellement qu’il se limitera au sensus planus. Devant un problème dans le texte ou dans la traduction, il discute presque toujours les suggestions rabbiniques, pour la philologie tant que pour l’interprétation. Le résultat est que les psaumes sont dorénavant des textes écrits par des personnages historiques, principalement par le roi-poète David. Ils reçoivent un Sitz im Leben, un contexte historique, duquel ils devraient être interprétés. il assume cette position, non seulement comme savant, mais aussi comme théologien. Il affirme qu’il s’agit d’une herméneutique nécessaire pour donner à la nouvelle théologie protestante ‘une fondation solide’, qui pourra parer les critiques des juifs, d’autres littéraires humanistes et des catholiques (qui tenaient que la bible en elle-même, Sola Scriptura, ne suffisait pas pour l’érection d’une église).[27] Bien connu est l’avertissement contre cette tendance de Lefèvre d’Etaples, qui exclamait qu’il n’était point intéressé par le David historicus, mais d’autant plus par le David propheticus. Suivre l’exégèse juive, c’est comme l’aveugle qui mène le paralytique: Tous deux tomberont dans le fossé; C’est ‘la lettre qui tue’.[28] Le sens spirituel est le premier sens des Ecritures et donc le Christ est signification littérale véridique. Luther se retrouve plus près de Lefèvre que de Bucer dans sa méthode herméneutique de ‘was Christum treibet’.[29]

Bucer est convaincu que sa lecture historique n’endommagera pas le message chrétien, bien au contraire. Il voit concordance en convergence partout, mais à l’exception de quelques psaumes directement prophétiques, il essaie d’expliquer avec conséquence la référence à Jésus Christ par la typologie, laquelle est employée de sorte que la première référence (l’historique) reste entièrement intacte. Il se rendait compte que Kimhi insiste sur le ‘peshat’ pour démontrer que les chrétiens ont tort.[30] Sans mâcher ses mots, Kimhi ridicule l’interprétation christologique traditionnelle, y compris la façon dont Jésus a employé le verset 2 dans un débat avec les Pharisiens. Bucer possédait une copie de la Bible Rabbinique avec les commentaires de Kimhi sur les psaumes et était sûrement au courant de cette attaque. Et bien sûr Bucer aussi fulminait régulièrement contre les ‘sales juifs’. Des sentiments anti-juifs étaient tellement courants parmi les chrétiens que ça ne se remarquait plus. Et bien sûr, la Veritas Hebraica ne fera que renforcer la vérité chrétienne, qui n’est autre que Jésus le Christ.[31] Pour ceci il était bafoué par un de ses collègues en lui montrant la première partie de ses commentaires psalmiques en 1526.[32] Mais il n’a jamais reconsidéré son point de vue, bien que petit à petit il a laissé tomber le champ de l’exégèse pour se contenter de ses devoirs dans l’église. Son explication du psaume 110, déjà fort approfondi en 1529, a presque doublé dans la réédition de 1532 qui ajoute presque toute l’information disponible sur les aspects philologiques en interprétatives du texte. Ils sont tous là, Rashi, Ibn Ezra, Kimhi. L’interprétation fort spéculative de Kimhi du dernier verset est mentionné avec pas mal d’appréciation, encourageant Clément Marot de la copier dans ses paraphrases poétiques.[33] Dans beaucoup d’autres traductions françaises, suisses et du Haut-Rhin un enthousiasme similaire se fait remarquer. Dans les éditions bibliques ou des psaumes qui vont souvent sous le nom ‘Vatable’, souvent l’option choisie dans la traduction des psaumes et les notes d’interprétation viennent en direct de la Bible des rabbins (souvent par l’intermédiaire du Commentaire de Bucer).[34]

 

Les paraphrases latines et les bibles de Servet et Castellio

On retrouve un parallélisme dans les paraphrases latines qui étaient fort en vogue au 16ème siècle: le premier poète-lettré à employer les nouvelles notions sur les psaumes dans une versification complète était sans doute Eobanus Hessus, dont le Psalterium universum carmine elegiaci redditum atque explicatum … (Marburg, 1537) connut beaucoup de succès.[35] Luther faisait l’éloge de cette paraphrase du psautier pour avoir évité le ‘judaïser’ qu’il reprochait aux autres. Sans doute il pensait à Bucer sans pour cela afficher son nom.[36] Ironie, parce que Eobanus a probablement fait emploie du commentaire de Bucer et à l’occasion du psaume 110, n’a pas manqué de reproduire la suggestion de Kimhi pour le dernier verset. Evidemment le poète peut garder implicite ce que le commentateur doit - et veut - rendre explicite: La version d’Eobanus Hessus:

Torrentes fuso manabunt sanguinis rivi

Rubraque de cesis hostibus unda fluet.

 

La même interprétation se retrouve aussi dans la première édition de la paraphrase des psaumes de George Buchanan[37]:

                               … torrentibus

Latè per arva sanguinis rivis sitim

Victor levabit igneam.

 

Les poètes érudites ou les savants avec le don de la poésie ne pouvaient résister l’histoire raconté par Kimhi. Pour cela elle était trop sensée. Et pour un traducteur qui veut faire mieux que mettre servilement la prose ecclésiale en rimes, une narration plus ou moins consistante c’est presque une conditio sine qua non. La popularité de Kimhi atteint son apogée avant mi-siècle. La méfiance contre le David historicus (issue de ‘l’école de Lefèvre’), l’attaque ouverte de Luther contre les lettrés hébraïstes, plus vigoureux après 1542,[38] ont rendu suspects ceux qui se référaient à lui ou à sa herméneutique littéraire. Néanmoins, l’influence des rabbins et particulièrement de l’herméneutique de Kimhi (‘peshat’) sur l’exégèse chrétienne n’est pas arrêtée totalement, elle persistait dans les entourages plutôt libéraux de la Réformation. P.ex. l’importance de la recherche philologique et historique pour la signification littérale d’un texte avant son application, est rendue et propagée avec éloquence dans les rééditions annotées de la bible de Pagnini, procurées par Miguel Servet en 1542 et 1545.[39] Dans le prologue, il recommande chaleureusement l’étude de l’histoire des hébreux pour une meilleure compréhension de la Bible. Il insinue que les savants qui se donnaient à l’étude de la Bible mais négligeaient de considérer le sens historique et littéral ‘se comportaient comme des idiots cherchant en vain le sens mystique’.[40] Le sort final de Servet est connu. On trouve la fascination pour le sensus planus aussi dans la traduction latine originale de Sebastian Castellio (1551).[41] Dans la marge de sa traduction du psaume 110,7 on lit la note explicative suivante: “ex redundant caesorum sanguine bibi possit.”[42] Une fois de plus, Kimhi a convaincu un homme de lettres. Cet aperçu rend claire qu’une partie du monde littéraire et scientifique était séduite par la découverte de les exégèses juive. Surtout celles qui représentaient l’herméneutique du sensus planus ou ‘peshat’ en hébreu, Ibn Ezra et David Kimhi. On en retenait une vue nouvelle sur les anciens textes des psaumes. Les résultats de cette approche herméneutique étaient infiniment satisfaisantes pour ces savants curieux, orientés vers les langues et des langages. Les textes, bien que toujours vieux et obscures, en sortaient avec plus de sens.

 

Psalm 110,7: ‘Des grands ruisseaux de sang’ versus ‘De l’eau courant’

Il est significatif que les savants actifs comme dirigeants de l’église reformée dans la deuxième moitié du 16 ème, peu à peu abandonnaient ce genre d’exégèse et se repliaient sur des terrains plus sûres, c’est-à-dire moins critique-historique et plus spirituel-christologique. Du côté extérieur ils gardaient la méthode: ils demeuraient intéressés dans le texte. Ils prêtent des juifs quand ça les arrange (souvent sans mentionner les sources); ils aiment développer les références historiques des textes bibliques et s’intéressent à l’histoire sacrée, dans une manière pré-critique, bien sûr, mais quand-même. Cependant, en même temps ils limitent la liberté de recherche: il n’est plus permis d’explorer terre neuve en dehors de la théologie orthodoxe. On est prêt à apprendre, mais tout ce qu’on apprend doit nécessairement pointer vers le Christ orthodoxe. Ils veulent (ils doivent) trouver des preuves que l’interprétation chrétienne de l’Ancien Testament serait vraie, ce qui n’est pas aussi évidente que présenté en général. Ce qui mène à une dévaluation progressive de l’historique même. En fin de compte la recherche historique devient non pertinente. L’histoire ne peut que confirmer ce qui est déjà établi théologiquement. Donc, après avoir exposé le sens littéral et avoir fait des suggestions historiques, les exégètes - tout à fait comme avant - se remettent à exposer le sens vrai du texte qui n’est autre que le Christ. L’homélie éclipse l’exégèse. Des leçons doivent être apprises, pas l’apprentissage. Le résultat fût une sorte d’approche réticente et ambigüe du texte biblique: philologie et historiographie devenaient les nouvelles ancillae theologiae, pratiques pour démontrer la vérité du dogme supposé, mais dénoncé du moment qu’elles produisaient des résultats indésirables. La tendance est déjà visible dans la façon dont Calvin rejette Kimhi (et Bucer) dans son exégèse du psaume 110. Son successeur, Théodore de Bèze, ira plus loin, et ne mentionnera point ces possibilités dans l’explication qu’il ajoute à ses paraphrases latines en proclamera tout simplement la signification christologique comme obvie. Calvin, dans son commentaire sur les psaumes (1557/58), explicitement, mais sans mentionner le nom, prend en délibération l’interprétation de Kimhi du dernier verset (il avait peu de choix, comme il figurait éminentement dans le recueil de cantiques de son église). Il le rejette comme trop dur (nimis dure). Il aime non plus la vue traditionnelle que cette phrase renvoie aux souffrances du Chris (nihilo rectius). En revanche on devrait penser à la beuverie précipité des soldats et des seigneurs de guerre, qui après la bataille ne prennent pas du temps pour eux-mêmes. Cette vertu (militare robur) est appliquée au sens figuré (figurate) au Christ.[43] Il y a un soupçon de sentiments anti-scientifique et anti-judaïque (anti-rabbinique) dans le raisonnement de Calvin. Il parle avec mépris de ces thèmes. Il ne prend même pas le peine de vérifier les raisonnements derrières eux, mais les balaie sans considérations substantielles.[44] Le point commun avec Bucer reste néanmoins que Calvin comme lui rejette l’allégorie parce qu’elle serait gratuite. Il devrait y avoir avec le narratif-même. Après avoir lu cette exposition de Calvin, publiée en première en 1558, il est peu étonnant qu’en 1562 De Bèze changeait la traduction de Marot du dernier verset pour la rendre conforme (quasiment à la lettre: boisson ‘hâtive’) à celle de Calvin - et presque de l’Eglise entière.

Mesme en passant au milieu de la plaine

De l’eau courante à grand’ haste il boira.

 

Le paradoxe de cette intervention est qu’elle est en effet une restauration du texte littéral, mais qu’elle témoigne en même temps du refus de la recherche d’un sensus planus au niveau historique et humain, partant du texte littéral. Dans sa propre paraphrase latine de ce psaume, l’intérêt dans le fond historique et littéral (y compris la philologie) semble évaporé. De Bèze était lettré en grecque comme en latin, mais n’était pas hébraïste comme Bucer. Dans ses paraphrases latines, Psalmorum Davidis Paraphrasis (1580), le savant hébreu allemand, Heinrich Möller, était son guide.[45]

Beza vante sa traduction et son commentaire sur les psaumes dans sa préface et en 1591 il produit une édition de Möller’s ‘cours sur les psaumes’ (de Wittenberg) auxquelles il ajouta des propositions théologiques doctrinales, loci communi. Dans le commentaire sur le verset 7 Möller mentionne la vue de Kimhi (sans mentionner le nom) et montre qu’il est bien informé dans toutes sortes de conjectures concernant la signification du texte littéral. Néanmoins, il les décharge comme gratuites, comme la vraie signification, qui est aussi la plus simple (simplicissimam sententiam) est déjà bien établie: le Christ, roi victorieux dans la bataille, allant à sa gloire par le porte de la souffrance, ce qui est un retour à l’interprétation traditionelle: ‘le boire en route’ comme métaphore de la souffrance du Christ dans sa vie terrestre.[46] Le sommaire des points majeurs on devrait se rappeler en contemplant ce psaume ressemble fort au résumé proposé par Léfèvre d’Etaples: Dans tous les versets c’est le Christ qui est adressé et sa nature divine, sa génération éternelle, tout est là. Même la “distinctio Personarum Patris et Filii’ réapparait, un des éléments ridiculisés par Kimhi, qui insiste que ‘adon’ (traduit en latin comme ‘Dominus’) est en hébreu un mot commun pour ‘seigneur’ ou ‘maître’ et que dans ce psaume le prophète simplement adresse le roi au nom de Dieu.[47] Quand on prend cette explication et on la met à côté de l’exégèse de Bucer, la paraphrase latine de Buchanan et la transposition vitale de Marot, on se retrouve dans des univers différents. Il devient même dur à comprendre que les théologiens luthériens trouvent encore du matériel pour accuser les théologiens bibliques de Genève de judaïsme. Dans le long résumé de sa propre paraphrase de psaume 110, aucune trace d’intérêt historique n’est laissée. Et quant aux versets finales, De Bèze ne prend même plus la peine de chercher une narration concret dans la trame du psaume 110 - il n’y en a pas, il n’y a que prophéties sur le Christ. S’en suit qu’il ne réfère qu’aux batailles endurées par le Christ depuis la proclamation de l’Evangile jusqu’à la parousie. Dans le verset 6 il essaie de trouver un lien entre les ennemis du roi qui sont battus et des événements historiques, mais - significatif - De Bèze ne suggère pas de référence intra-biblique, mais préconise de penser à l’empire romain et l’antéchrist, terminant son exposé par une note apocalyptique sur le combat final dans lequel Satan sera détruit et la gloire de Dieu sera d’autant plus manifeste que dans ce psaume. On est très loin de Bucer et complètement à l’opposé de Kimhi. Et : pas de ‘fondation solide dans l’histoire’, comme suggéré par Bucer, mais porte ouverte à la spéculation.

 

 

Epilogue

 

George Buchanan, déjà mentionné plusieurs fois, a lui-aussi changé sa paraphrase poétique du psaume 110. Il avait d’abord suivi Kimhi (1566 : ‘Latè per arva sanguinis rivis’, voir supra) mais à partir de l’édition de 1571 (Plantin, Anvers) une nouvelle demi-ligne dans la traduction de verset 7 vit la lumière. Le mot ‘sang’ est supprimée, laissant la phrase aussi obscure que l’originale:

“                             … torrentibus

E fortuitis, dum fugam premet, sitim

Victor levabit igneam.

Ergo, subactis hostibus, caelo caput

Tollet decorum gloria.

 

‘le roi victorieux assouvie sa soif aiguë par les fleuves qu’il trouve fortuitement dans sa poursuite de l’ennemi’. Buchanan ne remplit pas les blancs (il ne remplace pas ‘sang’ par ‘eau’), mais laisse l’interprétation au l’imagination: Buchanan défie le lecteur à trouver le sens lui-même. Aucun intérêt christologique, même avec ce verset changé, ne peut être trouvé chez lui. Plus que De Bèze (qui explique tout) la paraphrase de Buchanan représente la ‘nouvelle lecture’ de la Bible, dans laquelle la perspective philologique historique a produit une nouvelle appréciation et compréhension de ces textes hébreux anciens.[48] A la fin du 16ème siècle, il n’y a que le psautier italien (Sessanti Salmi di David, traduit du français par un poète inconnu et publié à Genève par un refugié italien Giovan Battista Pinerolio) qui inclut toujours l’exégèse audacieuse de Kimhi, communiquée par Bucer et intégrée par Marot dans sa versification ;  et ça reste comme-ça. Dans le psautier complet de Francesco Perotto (1581) on ne trouve pas le Marot censuré. Là, le Marot original est aussi présent.[49]

 

NN (1564)
 

Perotto (1581/1603)

Quindi avverrà (cotal la strage fia)
Che d’un rio traboccante
Di
sangue potrà bere oltre per via
Ela sua testa alzar su trionfante

 

Anzi esso nel passer vittorioso
Beverà, per la strada, del torrente
Del
sangue sparso; e cosi glorioso
Andrà la testa alzata tra la gente.

 

 

La peur que l’usage de notions juives et plus particulièrement des notions rabbiniques puissent saper la revendication chrétienne que l’Ancien Testament annonce le Christ a provoqué la suppression de cette influence. Les cauchemars des théologiens étaient tellement terrifiants que les rêves des lecteurs et les visions des traducteurs devaient être censurés. Seulement les constatations qui arrangeaient bien les théologiens furent acceptées: « le juif a fait son devoir, le juif peut disposer ».[50] Quelques poèmes de Marot dans leur étrangeté, sont en quelque sorte un mémorial de la force des ces visions et les promesses dormantes encapsulées dans ces rêves. Marot, lui aussi, ‘était parmi les rabbins’.[51]

 

 

Anvers, Noël 2011

Dick Wursten


 


[1] Les nouvelles versifications de De Bèze sont publiées successivement en 1551 (+34), 1554 (+6) et 1562 (+61), dorénavant GE51, GE54, GE62. La publication des Pseaumes octante trois de David mis en rime françoise en 1551 semble avoir été une coopération entre Loys Bourgeois (compositeur et réviseur des mélodies), Théodore De Bèze (fournisseur des textes) et Jean Crespin (imprimeur), supervisé par Jean Calvin. Voyez les Acta du Conseil de Genève de 1551 (extraits relevant dans Pidoux, Le Psautier Huguenot, t. II, pp. 49-53). Le rôle principal de De Bèze dans la publication de GE62 est bien attesté.

[2] Dick Wursten, Clément Marot and Religion. A reassessment in the Light of his Psalm Praphrases (Leiden: Brill, 2010). Pour la signification du terme ‘Hebraica Veritas’, voir ch. 4 ; Pour l’histoire des versions manuscrits et les éditions, voir ch. 2.

[3] La plupart des retouches datent de 1562. Les éditions littéraires critiques des œuvres  de Clément Marot ne tiennent pas conte de ces changements, ils sont intéressés dans le texte définitif de Marot: Œuvres complètes (éd. C.A. Mayer), t. 6. Les Traductions (Genève, 1980); Œuvres poétiques complètes (éd. G. Defaux). t. 2 (Paris, 1992); Œuvres complètes (éd. François Rigolot), t. 2 (Paris, 2009). Mayer suit l’édition des psaumes par Roffet (1543 - Mayer, Bibliographie n° 119); Defaux et Rigolot suivent l’édition de Dolet (1543 - Mayer, n° 118). En faite Dolet publiait le texte d’une édition anonyme de Genève: Cinquante pseaumes en francois… ([Genève, Jean Girard], 1543), édition moderne par G. Defaux, [Textes de la Renaissance] (Paris, 1995). Pour une comparaison des différents textes on peut consulter S.J. Lenselink, Les psaumes de Clément Marot (Assen, 1969), une édition critique du texte des Psaumes dans quatre colonnes, les trois premières dédiées aux versions manuscrits, la quatrième publiant le texte de 1562 (éd. Jaquy). Les changements par rapport à l’editio princeps des Cinquante pseaumes (1543) sont mentionnés par moyen de notes dans la quatrième colonne. Là où Lenselink suggère que la modification se retrouve pour la première fois en GE54, on est prié de lire: GE51 (l’existence de cette édition était connue, mais le contenu ne s’est fait connaître qu’en 1969 quand un exemplaire fût découvert dans le Rutgers University Library, New Brunswick (NJ), publié en facsimile en 1973 par F.J. Johns [GLN-219].

[4] Un cas limite est la réécriture du début du psaume 36 où la phrase entière (trois lignes) est reformulée et des nouvelles rimes sont insérées. C’est plus qu’une retouche, mais la signification globale n’est pas changée, le sens n’est pas affecté : « De malin les faits vicieux / Me disent que devant ses yeux / N’a point de Dieu la crainte. »  De Bèze écrit: « Du malin le méchant vouloir / Parle en mon cœur, et me fait voir / Qu’il n’a de Dieu la crainte ». 

[5] Bien que Lefèvre d’Etaples dans son explication des psaumes va plus loin que la plupart des autres exégètes, en particulier à cause de l’exclusivité et la massivité de son explication christologique, la préface qu’il a ajouté à son édition des psaumes quintuplée (Quincuplex Psalterium (Paris : Robert Estienne, 1509/1513), peut très bien servir pour se rendre compte comment les psaumes étaient considérés comme des textes chrétiens de toute évidence. Chez Lefèvre la prophétie concernant le Christ et le salut ne sont pas des significations dérivées mais sens propre ou plus provocativement dit: signification littérale, par quoi il veut dire qu’en lisant et étudiant bien, le texte parle lui-même du Christ. Voir infra  et la discussion correspondante dans le texte principal.

[6] Olivétan Bible 1535 en margine: ‘Louenge de lestat du Roy Salomon, figure de Christ’ ; ‘Ascavoir, la fille de pharaon’ : même combinaison d’une interprétation figurative et une explication historique.

[7] Aretius Felinus (pseudonym de Martin Bucer), S. Psalmorum libri quinque, ad ebraicam veritatem versi, et familiari explanatione elucidati (Strasbourg : G. Ulricher, 1529 ; VD16-[B3145]) ; lédition de 1532 : Sacrorum Psalmorum libri quinque ad ebraicam veritatem genuina versione in Latinum traduct (VD16-[B 3150]). Bucer met en évidence l’interprétation christologique par les termes ‘typus’ et ‘praefiguratio’. Les phrases principaux (termes descriptifs) de l’ Argument de Marot se retrouvent dans l’explication de Bucer;”Carmen dilectionum autem vocarunt hanc Odam, quod ea Dei in Shlomoh, ut Christi typum, deinde in ipsum Christum in Shlomone deliniatum et praefiguratum, dilectionem celebrat.” (Bucer, Psalmorum libri quinque, 1532, 167r°). Pour l’herméneutique de Bucer et la dépendance de Marot de celle-ci, voir Dick Wursten, Clément Marot and Religion, ch. 6 (pp. 183-216).

 

[8] La comparaison avec la façon avec laquelle les savants néo-latins traitaient les psaumes dans leurs paraphrases latines, est intéressante. La paraphrase latine du psaume 45 de George Buchanan (pour références biblopgraphique, voir infra) est d’une beauté presque païenne, plein d’idiome sensuel, fourni par le psaume même. Avec Buchanan on ne se doute pas que cela pourrait parler du Christ et de son épouse, l’Eglise. Son éditeur moderne, Roger P.H. Greene note: “In this poem, one of his most imaginative, Buchanan shows more interest than usual in the original context, which is the wedding of Solomon. There is a remarkably strong presence of Vergil, especially in the language of power, of luxury and of mutual admiration, for which the Dido narratives in particular are fully exploited. “ Greene trouve mystérieux le changement dans les lignes finales d’une édition ultérieure. Il lui aurait suffit de lire le commentaire de Bucer pour résoudre le problème.

[9] En hébreu : ‘elohim’ (v.6) ; ‘mashach’ et ‘elohim’ (v.7), ‘adonai’ (v.11).

[10] Pseaumes octante trois de David mis en rime françoise (Genève, Jean Crespin, 1551; GLN–219) : GE51. Lenselink, Les Psaumes, p. 226 place la correction dans GE54 (en 1969 aucune copie de GE51 n’était connue ; cf note  3).

[11] « [Dieu] a dit au Fils: Ton trône, ô Dieu, est éternel; Le sceptre de ton règne est un sceptre d’équité; Tu as aimé la justice, et tu as haï l’iniquité; C’est pourquoi, ô Dieu, ton Dieu t’a oint d’une huile de joie au-dessus de tes égaux. (Hebr. 1,8-9, citant Ps. 45, 6-7)

[12] La référence aux vœux du mariage est aussi présente dans les versets 10 et 15.

[13] Psalmorum Davidis Paraphrasis (Genève : [Jean Berjon], 1580 , GLN-2775): ‘Psalmus… Argumentum et usus’: “Totus hic Psalmus merè est allegoricus et eiusdem prorsus argumentum atque Canticum canticorum: neque iis assentiri possum qui ‘epithalamion’ (en caractères grecques) esse putant, id est, nuptiale carmen Solomonis et filiae Pharaonis.” Une comparaison entre la paraphrase de De Bèze et celle de Buchanan (publiées ensemble chez Le Preux à Morges en 1581) est instructive: la paraphrase de De Bèze fait pâle figure à côté de celle de Buchanan qui est haute en couleur et très expressive. L’édition française de la paraphrase de De Bèze, Pseaumes de David et les cantiques de la Bible, avec les argumens et la paraphrase de Beze. (Genève : Jacques II Berjon, 1581 ; GLN- 938) offre une traduction de l’Argumenta de sa paraphrase à côté d’une nouvelle traduction des psaumes de Heinrich Möller. La paraphrase poétique latine de De Bèze est remplacée par les versifications connues de Marot et De Bèze. Voir note  45.

[14] Bible Louis Segond (1910). En verset 4b la version originale (1874) a ‘prêtre’ au lieu de ‘sacrificateur’.

[15] Les deux références principaux – mais il y en a plus – sont Mt 22: 41sq (et parallèles synoptiques) et l’Epître aux Hébreux, ch. 5:5sq.

[16] ‘Domino meo’ en latin ; ‘adoni’ en hébreu.

[17] Lefèvre d’Etapes, Quincuplex Psalterium (Paris : Robert Estienne, 1509/1513), f° 278v° : « Psalmus, de sessione Christi domini in dextera Patris (Ascension) donec facto iudicio capiat regnum aeternum, de humanitate eius quem missa est evangelizare regnum dei in medio Iudaeorum, de generatione aeterna eius (Génération éternelle du fils), et temporali ex sacrosancto virginis utero (Né de la Vierge Marie), de sacerdote eius aeterno libaminis panis et vini (Ministère sacerdotale et l’eucharistie), de ultione quam deus in principe huius mundi et complicibus eius facturus est (Jugement de Dieu), et quod Christus torrentem passionis pro nostras salute in hoc mundo bibiturus erat (Le Christ boit la coupe de souffrance).

[18] Parmi les savants le psaume 110 est généralement considéré comme un texte très vieux. Le genre: une sorte de prophétie cultuelle concernant un ancien roi aux alentours de son avènement. Un prophète de la cour transmet un message (plutôt deux messages) au roi, des oracles pour ainsi dire. Après la période hypercritique de la critique littéraire historique (Wette, Wellhausen), les savants allemands autour de Hermann Gunkel ont essayé de quitter les champs de bataille et dans les fameuses séries Die Schriften des Alten Testaments cherchaient de formuler un consensus académique qui depuis lors n’a jamais été vraiment contesté: “Ps. 110 entzieht sich wegen seiner dunklen Sprache und der vielen Verderbnisse im Text dem vollen Verständnis,” écrit W. Staerk. Il ne traduit que les vv. 1, 2, 3a, 4. et commente: “Der Text dieser Ode… liegt leider so sehr im Argen, dass eine einigermaßen sichere Übersetzung des Ganzen nicht möglich ist... Es verlohnt sich nicht, die vielen Verbesserungsvorschläge zu erwähnen, da ja alles nur geraten ist. Was wir jetzt in V. 5-7 lesen, sind nicht einmal mehr rhythmische Gebilde, sonder Prosasätze (W. Staerk, Die Schriften des AT, Lyrik, 1920, p. 250-251). La même évaluation se trouve dans une oeuvre de réference plus récente: H.J. Kraus, Biblische Kommentar. Il  caractérise le texte Massorétique comme “einen äuβerst schwierigen und umstrittenen Textbestand” (t. 1, p. 754).

[19] Analyse complète: Dick Wursten, Clément Marot and Religion, pp. 228-240.

[20] Michel Jeanneret observait la ‘singularité’ de cette traduction, l’étiquetant "au–delà des limites usuelles de fidélité” (Poésie et tradition biblique au XVIe siècle (Paris, 1969), p. 63), mais il n’a pas réussi à rendre cette observation fertile. Bien qu’il ne doutait pas du sérieux de Marot dans ses efforts de traduction, il accepta trop vite la vue familière que l’influence de Bucer sur Marot était plutôt superficiel et limité aux ‘Arguments’.

[21] “Versu ultimo caedem hostium, & victoriam auget. Significat enim tantum fundendum sanguinis, ut e flumine ex hostium sanguine facto, Rex hic bibiturus sit… Nam per bibere sanguinem hostilem, plenam & ad animi sententiam perfectam victoriam, scriptura solet significare… Inde sequitur, Propterea attollet caput, hoc est, alacriter & feliciter potestatem exercebit, factus superior.” (Bucer, Psalmorum libri, 1529, 343v° (idem en 1532, 285v°–286r°).

[22] Pour Kimhi, voir F.E. Talmage, David Kimhi: The Man and the Commentaries (London, 1975). Ses commentaires sur les psaumes sont partiellement disponibles en anglais et complètement en italien: David Kimchi, Commento al Salmi, ed. Luigi Cattani (Rome, 1991-2001 ; 3 tomes). Kimhi combine piété juive avec rationalisme. Pour lui Torah et raison sont tout à fait congruents. Cet engagement pour la raison se reflète dans sa méthode d’exégèse. Il est le représentant principal de la méthode herméneutique connue comme ‘peshat’ (chez Bucer : sensus planus), qui cherche une signification simple qui n’est pas embellie par l’imagination midrashique ou l’homélie des rabbins. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’a pas l’œil pour la texture riche du texte biblique, mais seulement que dans son exégèse il donne priorité à la clarté linguistique, historique. Ne pas déniant le pouvoir de Dieu d’intervenir dans l’ordre terrestre (voir p.ex. l’introduction à ses commentaires sur les psaumes), il préfère une explication naturelle à une explication surnaturelle. Concernant le texte biblique il insiste que des principes grammaticalement et philologiquement saines sont essentiels à une bonne compréhension du texte. Grammairien et lexicographe il recueillit la récolte des écoles médiévales espagnoles. Pour une première rencontre, voir le site de Gordon Laird qui dans les années 1970 a fait des recherches sur Kimhi à l’Université de Tübingen: www.glaird.com/contents.htm.

[23] Acronym de rabbi Shlomo Itzhaki (Troyes, c. 1040-1105). Il établit renommée comme éditeur et commentateur du Talmud, tout comme pour un commentaire compréhensif de la Bible hébreu. Ses commentaires sur les psaumes sont traduits en anglais, avec notes extensives de Mayer I. Gruber (Rashi’s Commentary on the Psalms,  Brill: Leiden, 2003; id. Jewish Publication Society: Philadelphia, 2007). L’ explication du psaume 110 se trouve sur p. 645-654.Rashi explains the final verses as announcements to the defeat of Egypt, the “head of a great country” is Pharaoh, “who [= Egypt] drank from a stream by the road” (i.c. Egypt lives from the Nile) -; “Therefore he holds his head high” =  meaning: the Eyptians are a boastful people, being independent of anything: The Nile is mine. In the other as referring to David fleeing for Saul: “sit at my right hand” then means: in the final verses simply changing the addressee: Sennacherib, and the brook becoming the river Jordan (Jes: 37,25); Here he even added a third alternative, suggesting that David is prophesying Sennacherib’s death caused by drinking poisoned water, interpreting ‘al-ken’ (therefore) as ‘because of (‘al) him’ holding his head high (his pride).

[24] Numéri 23,24 : « Voici qu’un peuple se dresse comme une lionne, qu’il surgit comme un lion :il ne se couche pas, qu’il n’ait dévoré sa proie et bu le sang de ceux qu’il a tués.»

[25] 2Sam 8,13 : « Au retour de sa victoire sur les Syriens, David se fit encore un nom, en battant dans la vallée du sel dix-huit mille Édomites. »

[26] Ce bible était imprimé par Daniel Bomberghen, l’imprimeur Anversois qui avait vendu ses biens à Anvers pour recommencer sa vie comme imprimeur de textes hébreux au ‘Mecque’ de tous les imprimeurs: Venise.

[27] Voir G. Hobbs, ‘How firm a foundation. Martin Bucer’s historical exegesis of the Psalms’ in: Church History 53/4 (1984), pp. 477-491. Bucer expose tout ‘iuxta historiam’, il dit dans son introduction, pour 1. sécuriser une position forte dans la discussion avec les juifs, 2. pour rendre difficile au monde académique à continuer la rejection méprisante de cette façon de lire la Bible et 3. procurer un sens christologique et ecclésiologique du texte fondé solidement dans les faits historiques.

[28] “Quomodo igitur eorum sensui innitemur, quos Deus percussit caecitate et terrore, nichil timente ssi caecus nobis ducatum praestet ne una ruamus in fovem? Absit igitur nobis credere hunc litteralem sensum quem litterae sensum appellant et David historicum potius facere quam prophetam, sed eum sensum litterae vocemus qui cum spirituo concordat et quem spiritu sanctus monstrat.” The prefatory epistles of Jacques Lefèvre d’Etaples and related texts, ed. E.F. Rice (New York, 1979), p. 195-196 : «  Comment donc nous appuierons-nous sur ce sens qui est le leur, à eux que Dieu a frappé d’aveuglement et d’effroi ; ne craindrons-nous pas si un aveugle nous conduit, de tomber dans la fosse ? Tenons-nous éloignés de croire ce sens qu’ils appellent littéral, qui fait de David un historien plutôt qu’un prophète ; appelons au contraire littéral celui qui est en accord avec l’esprit et que l’Esprit Saint nous montre. » (trad. G. Bedouelle, Le Quincuplex Psalterium de Lefèvre d’Etaples, un guide (Genève, 1979), p. 29. Pour un aperçu général, ibid, ch. IX (‘Les principes d’interprétation’) et son article modeste mais précis, ‘La lecture christologique du Psautier dans le Quincuplex Psalterium de Lefèvre d’Etaples’, dans Histoire de l’exégèse au XVIe siècle (Genève, 1976), p. 133-143.

[29] La confrontation entre les luthériens et les calvinistes, les premiers accusant les deuxièmes de ‘judaïser’ (p.ex. le Calvinus Judaizans de Hunnius de 1593), peut se retracer à ces origines.

[30] Tout comme Rashi, même explicitement, dans son exégèse du psaume 2.

[31] Quand on donne suffisamment d’attention à la philologie et le fond historique et on ne se concentre pas trop sur les possibilités pour l’homélie et les applications allégoriques, on est spontanément confronté aux thèmes qui concernent l’histoire-même (‘La foie, est elle basée sur des faits historiques?’). Cf. la remarque lucide de Kai Peltonen :  “[O]ne can already see in a germinal form in Qimhi's writings those questions into which literal exegesis … was going to lead a scholar who seriously pursued it […] The importance of Qimhi's commentary lies in the fact that it prepared, at least in a preliminary way, the ground for facing these kinds of historical questions, even if it could not yet provide concrete and definite answers.”  (Kai Peltonen, History debated: the historical reliability of Chronicles in pre-critical and critical research (Saarijärvi, 1996), vol. 1, p. 28). Il en est de même pour Bucer.

[32] L’hébraïste éminent Conrad Pellican reproche à Bucer de lambiner trop sur tous ces litigieux des rabbins: Lettre de Pellican à Bucer, le 6 août 1529, citée par Hobbs, ‘How firm’, p. 490, n. 54: “Ego vero ... studium tuum ac iudicium probare cogor, nisi quod miseret me laborum tuorum in pervestigandis et diiudicandis Rabinorum sententiis, quas toties repetis sibi dissentientes tan sensu quam grammatica” (trad. : J’approuve vraiment votre effort et jugement, sauf qu’il est dommage de voir tant d’effort consacré à la recherche et l’évaluation des opinions des rabbis que vous citez si fréquemment dans leurs désaccords mutuels sur le contenu et la grammaire.)

[33] En 1532  Bucer à reconsidéré l’arrière-plan historique possible et choisit une autre opinion qu’en 1529, qui se reflète dans un changement dans le traduction de verset 3. Il est apparemment basé sur une étude exhaustive des ressources juives. Il mentionne leurs noms en discute leurs théories sans réserves, les appréciant toutes, une approche fort juive en elle-même (Bucer, Psalmorum libri , 1532, f° (280[=283]r°-286r°).

[34] Pour les ‘bibles de Vatable’ (pluriel) et les ‘notes de Vatable’ : Dick Wursten, ‘François Vatable, so much more than a name’, BHR 2011.

[35] VD16[B 3162], édition critique de M. Fuchs, Psalterium universum: Helius Eobanus Hessus (Berlin, 2009).

[36] “Qui iudaicas tenebras in clarissimam lucem aliquot Psalmorum invehunt.” (qui introduisent des ombres juives dans la lumière splendide de quelques psaumes).

[37] Les paraphrases de Buchanan’s commençaient à paraitre à partir de 1556 sous titre Davidis Psalmi aliquot. Les Estiennes procuraient une version non-datée complète (1565/6?), titrée Psalmorum Davidis Paraphrasis poetica. Entre 1565 et 1825 plus de cent éditions existaient en Ecosse, Angleterre, et autres nations de l’Europa continentale. Voir l’édition internet de Dana Sutton: http://www.philological.bham.ac.uk/buchpsalms/. Très récemment Roger P.H. Green a publié une nouvelle édition critique et annotée (avec traduction): George Buchanan’s Poetic Paraphrase of the Psalms of David (Genève : Droz, 2011). Pour Buchanan, voir D. McFarlane, ‘Notes on the Composition and Reception of George Buchanan’s Psalm Paraphrases,’ Forum for Modern Language Studies 7/4 (1971), 319-360. McFarlane mentionne le Commentaire de Bucer, mais suggère une influence des publications bibliques d’Estienne et de Vatable, ignorant que ceux-ci seraient à leur tour tributaire au Commentaire de Bucer.

[38] Voir Stephen G. Burnett, ‘Reassessing the “Basel-Wittenberg conflict”: dimensions of the Reformation-era discussion of Hebrew Scholarship’, in Hebraica Veritas? Christian Hebraists and the study of Judaism in early modern Europe (Philadelphia, 2004), p. 181–201, en particulier les pages 192sq. En 1542 Luther commença à produire un nombre de pamphlets anti-juifs : Von den Juden und Ihren Lügen; Vom Schem Hamphoras und vom Geschlecht Christi; Von den letzten Worten Davids. L’idée que les juifs avaient délibérément changé le texte hébreu pour obscurcir les prophéties du Christ était profondément enracinée dans la tradition chrétienne; une citation d’un linguiste biblique respecté du 20ème siècle pour l’illustrer : Après avoir répertorié très profondément et dans une manière quasi compréhensive les difficultés qui se posent dans le psaume 110,3, il se demande pourquoi le texte est tellement corrompu: “Le texte original aurait-il été altéré par la malice antichrétienne des rabbins? – Nous nous garderons de répondre affirmativement à une telle question; Mais peut-être n’est-il pas téméraire de la poser. » (Le livre des psaumes traduit et commenté par Jean Calès, s.j. (Paris, 1936), t. 2 p. 347).

[39] Biblia Sacra, ex Santis Pagnini tralatione… (Lyon : H. De la Porte, 1542). Le pseudonyme, sous lequel Servet se cache, est ‘Michael Villanovanus ‘. Autres éditions en 1542 et en 1545.

[40] « Quum praesertim historicum, et literalem sensum, qui certum est futurae rei monumenten, ij qui Hebraeorum res gestas ignorant, facile contemnant. Unde et mysticos sensus frustra illi, et ridicule passim venantur. »  (ibid, préface, f° ij).

[41] Biblia interprete Sebastiano Castalione… (Basle : J. Oporinus, 1554)

[42]ibid, p. 686.

[43] CO 32, 166 (Latin). « Plusieurs expositeurs (à mon jugement) interprètent ceci trop rudement, asçavoir que la multitude de ceux qui seront tuez sera si grande, que leur sang coulera comme un torrent, duquel Christ estant vainqueur beura iusques à en estre rassasié » ; « par allegorie… ne disent gueres mieux. »… « Et partant je ne fay point de doute que David par figure n’attribue à Christ une vaillance et force de bon guerroyeur, en niant qu’il se repose, mesme pour boire, pource qu’en courant il beura du fleuve à grand haste. » (Commentaires de M. Jean Calvin sur le livre des Pseaumes (Genève : C. Badius, 1561), p. 703)).

[44] Trois examples : 1. De l’inteprétation christologique : “Le Pseaume mesme crie qu’il ne reçoit point d’autre exposition. Car quand nous aurions à combattre contre les Juifs les plus opiniastres de tout le monde, si est-ce que par vives raisons nous leur arracherons cela, que ce qui est yci dit ne peut appartenir ni à David, ni à autre quel qu’il soit, sinon au seul Médiateur. » (p. 699). 2. De Christ, qui cite le premier verset dans un débat avec les Phariséens : «Et ne faut point que les Juifs barbouillent que Christ ait usé d’une cavillation, pource que David ne parle pas en son nom, mais au nom du peuple. Il est facile de refuter ceste objection… » (p. 699). Cela n’est pas vraiment le cas, parce que cette observation est pertinente. Dans les deux cas Calvin vise Kimhi. 3. Le verset quasi intraduisible (v. 3), car textuellement absolument incertain, ne pose aucun problème pour Calvin. Il commence son commentaire par une phrase fort assurée: « Dès la matrice, comme de l’estoille du matin: Il n’est poin[t] de besoin de raconter toutes les interpretations qu’on amene en ce passage: car quand j’auray monstré quelle est la vraye et nayve, il ne faudra beaucoup travailler à refuter les autres. » (p. 701).

[45] Heinrich Möller (1530-1589) était un théologien évangélique allemand. Il a fait des études de langues orientales et a obtenu des grades en philosophie et théologie. En 1560 il est nommé professeur de l’hébreu à Wittenberg. Inculpé de cryptocalvinisme il a dû quitter le Saxe. Il retourna à Hambourg, étudia encore la médecine et passa ses dernières années comme médecin. Sa maîtrise des langues était sans pareil mais son travail n’a pas de traces du Entdeckerfreude de Bucer, ni d’une sensibilité pour les questions herméneutiques récalcitrantes, ni d’une passion pour le recherche du sensus planus. H. Möller, Enarrationis Psalmorum Davidis…. Cui nunc primum accesserunt Theses seu observationes locorum doctrinæ… (Genève, F. Le Preux, 1591 ; GLN-3489). Je cite une réédition: Enarrationis Psalmorum Davidis, ex praelectionibus D. Henrici Molleri Hamburgensis… excrptae (Genève : J. Choüet, 1610).

[46] Möller, Enarrationis, col. 1054: « Inprimis vero cum Christo competat, reiiciamus haec somnia Iudaeorum, qui fascinati opinionibus de regno Christi mundano, pleraque Scripturae dicat audaccissime convellunt et corrumpunt. Sed retineamus simplicissimam sententim, quam phrasis ipsa gignit, nec quearamus argutias procul queasitas. Dixerat propheta de rege Christo, cui summam potentiam et victorias de hostibus tribuerat. Ne igitur Iudaico more hoc acceperetur de regno corporali : addit doctrinam de eius passione, quae ei quasi viam apertura erat ad gloriam et ad exaltationem in regno. Sicut dicitur Lucae 24. (Paraphrase: « Que notre explication soit compétente avec le Christ; rejetons les imaginations idiotes des juifs, qui, obsédés par l’idée d’un règne temporel, détruisent et corrompent brutalement beaucoup d’élocutions de la Bible. Restons près du sens le plus simple qui sort du texte même, et laissons de côté les ingéniosités recherchées. Le prophète a parlé ainsi du Roi Jésus, à qui revient la victoire absolue. Et pour éviter qu’on comprenne à la façon juive, c’est- à-dire matérielle, il a ajouté la doctrine de sa souffrance, comme portail de la gloire céleste. v. Luc 24.»).

[47] Articuli praecipui, contenant neuf articles christologiques (cols. 1057-1058). Ils viennent après une analyse doctrinale extensive du psaume entier Observationes locorum doctrinae (cols. 1055-1056), qui est le même texte que la partie explicative accompagnant les paraphrases latines de De Bèze de 1580.

[48] Buchanan a aussi refait la traduction entière du verset 2, optant pour une interprétation complètement différente (voir Greene, o.c., p. 430-431, et les notes p. 603-604). Ce changement important n’est pas signalé par McFarlane dans son article, bien qu’il mentionne d’autres changements mineurs. (a.c. p. 360).

[49] N.N., Sessanta Salmi di David, tradotti in rime volgari italiane ([Genève :], G.B. Pinerolio, 1560 ; GLN-465). Pas de changes dans l’éditon de 1650 (Genève: S. Miege). Francesco Perrotto, Settantacinque Salmi di David tradotti in lingua volgare Italiana ([Genève :] Giacopo Bergione, 1581 ; GLN-944). En 1603 le psautier complet de Perrotto est publié. Le texte de ce verset est inchangé.

[50] « Der Mohr hat seine Arbeit getan / Der Mohr kann gehen. » F. Schiller, Die Verschwörung des Fiesco zu Genua III, 4.

[51] cf. 1Sam. 10,11.

 

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